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Valeurs et « savoir-être » : la double mue des décideurs

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Les dirigeants doivent désormais intégrer la notion de « performance globale » pour assurer la compétitivité et la pérennité de leur organisation. Depuis la loi Pacte, leur mission n’est plus seulement de veiller aux résultats financiers ou de penser en termes de croissance, il leur faut aussi embrasser les enjeux sociaux et environnementaux dans la stratégie et la gestion de l’activité. L’article 1835 du code civil a fait de l’entreprise l’artisan d’un nouveau projet de société. En parallèle, le cœur de l’entreprise bouge avec des talents qui demandent du sens, une gouvernance plus participative et une performance mieux partagée. Tout cela bouscule les organisations et leurs dirigeants.

Pour combiner « performance et bien commun », les dirigeants vont devoir réfléchir, décider et agir autrement que par le passé. Ils vont devoir s’appuyer sur des qualités qui hier encore n’étaient pas une condition indispensable de réussite : leurs soft-skills. Mais sont-ils armés pour cela ? Ont-ils bien les qualités d’éclaireur et de bâtisseur que la situation réclame ? Jusqu’où sont-ils prêts à aller pour challenger leur vision du monde et se défaire de leurs acquis ?  

Avec la dislocation écologique et la transformation sociétale qu’elle fait naître, le « savoir être » va prendre du galon et avec lui, un nouveau profil de dirigeant(e) : ceux qui sauront dialoguer et coconstruire, se défaire de leurs certitudes et se questionner, ouvrir leur champ de vision et accepter une nouvelle complexité, décider avec de nouveaux critères et une nouvelle temporalité. Le changement à opérer dans les instances de gouvernance est d’autant plus ardu qu’il n’était pas dans le « cahier des charges » de beaucoup d’acteurs en poste actuellement et qu’il doit être rapide.  

Un nouveau projet de société nécessite de lâcher prise : accepter de se défaire de nos certitudes, oser le risque d’une vision inédite et agir en pionnier.  

Alors, comment rompre avec les réflexes du passé ? Comment déplacer le curseur du savoir-faire vers plus d’intelligence émotionnelle ?

Jusqu’à très récemment, la qualité principale attendue d’un dirigeant était d’être un bon gestionnaire : celui qui a la capacité de faire fructifier les actifs de l’entreprise. Or, la préservation du capital est désormais menacée par les enjeux du développement durable. De nouvelles clefs de compréhension sont nécessaires pour agir et une partie d’entre elles repose sur nos compétences cognitives. Ce qui freine la transformation de la société n’est ni la connaissance, ni la technique, ni les ressources à notre disposition ; c’est la difficulté à imaginer un autre monde, la réticence au changement et le courage d’agir.

Le monde professionnel a longtemps valorisé la maîtrise de la connaissance. Cela conduit encore souvent à apporter des  réponses  techniques ciblées à des questions systémiques et globales. Cela mène aussi à tenter de répondre à des défis inédits avec des recettes issues d’expériences passées. C’est précisément de ces réflexes dont il faut se défaire.

La tendance à favoriser des diplômé.e.s issus d’institutions françaises historiques pour gouverner les grandes entreprises et les administrations (telles que l’ENA, Polytechnique, ENS, HEC, Sciences Po etc.) témoigne de ce réflexe. Être un excellent « technicien », issu d’un système éducatif émérite, est un atout indiscutable. Mais est-ce suffisant pour conduire la transformation de l’entreprise dans un monde en mutation ? Ne serait-il pas judicieux de valoriser davantage des profils issus de parcours différents, dotés d’une « autre » vision du monde, de capacités créatrices, d’aptitudes au dialogue et d’un leadership inédit ?

Il y a quelques semaines, un dirigeant a débuté notre échange en s’ouvrant sur les valeurs qui l’animaient et structuraient sa vie personnelle comme professionnelle. En rompant avec les codes habituels d’un premier entretien, il ouvrait un champ rarement exploré : parler de ce que l’on est avant de raconter ce que l’on (a) fait. Une approche originale pour vérifier si nous étions « compatibles » dans nos valeurs et nos visions du monde, avant d’envisager une éventuelle collaboration. Plus récemment, une entrepreneuse m’expliquait que les valeurs et la posture d’un candidat comptaient pour elle autant, voire davantage, que son diplôme. Travailler ensemble supposait de partager une vision du monde à construire et d’adopter son comportement en cohérence.

On sait combien les expériences acquises au fil des ans nous façonnent. Nos convictions, notre relation aux autres, nos succès et nos erreurs, nos centres d’intérêt… évoluent tout au long de notre vie professionnelle et personnelle. Ils nous définissent bien au-delà de nos diplômes et constituent une grande part de notre richesse ; celle justement qui devrait intéresser les décideurs à l’heure actuelle.

Les qualités relationnelles et émotionnelles sont un atout indéniable pour entreprendre et réussir la transformation. Le dialogue, le courage, l’optimisme, l’intégrité ou l’humanité en font partie. Il va falloir compter avec elles pour créer l’envie d’agir, favoriser l’adhésion à des mesures difficiles et susciter les changements individuels et collectifs nécessaires pour bâtir une autre société.

Les talents qui feront le « monde d’après » se distingueront par leur capacité à « être ».

Pour guider son organisation vers la prospérité, le dirigeant de demain devra être en mesure de proposer une vision inédite et attrayante de l’avenir, de prendre des décisions dans un environnement en mouvement et d’embarquer les équipes vers une destination inexplorée.

C’est finalement une posture inaccoutumée que le dirigeant doit adopter : travailler sur « ce qu’il est » pour soutenir la transformation de la société.  C’est aussi une mue que chaque collaborateur devra opérer.  

Pour accélérer le mouvement, peut-être devrions-nous tenter l’expérience de débuter notre biographie par notre « raison d’être », qui – outre l’intérêt ou l’étonnement que cela suscitera – révèlera un aspect singulier de la personne que nous sommes, que la formation ou le parcours professionnel n’indiqueront pas. Les décideurs qui valoriseront ce capital se doteront d’un sésame unique pour construire un monde meilleur tout en renforçant la performance de leur organisation. Un sacré changement de paradigme pour le monde du travail et chacun d’entre nous. Etes-vous prêts ?

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Sophie Chambon

Avec L’œil de Sophie, je pose un regard critique et constructif sur un sujet d’actualité où une RSE engagée et puissante peut faire la différence.

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